Attaque contre la maternité de Dasht-e-Barchi, Afghanistan

Maternité de l’hôpital Dasht-e-Barchi : Des femmes se reposent après leur accouchement. Afghanistan, décembre 2019. © Sandra Calligaro
PARTAGEZ CETTE PAGE :

Le 12 mai 2020, des hommes armés ont attaqué la maternité de Médecins Sans Frontières (MSF) à l’hôpital Dasht-e-Barchi à Kaboul, en Afghanistan, tuant 24 personnes, dont 16 mères, une sage-femme MSF et deux jeunes enfants.

Craignant que nos patients et notre personnel ne soient à nouveau ciblés, nous avons pris la douloureuse décision de nous retirer de l’hôpital à la mi-juin. Les assaillants, dont l’attaque brutale nous a forcés à fermer nos services de maternité et de néonatologie, privent ainsi des femmes et des bébés de soins médicaux essentiels dans un pays qui affiche l’un des pires taux de mortalité maternelle et néonatale au monde. Rien qu’en 2019, les équipes MSF ont assisté 16 000 accouchements à Dasht-e-Barchi, ce qui en fait l’un de nos plus grands projets de soins maternels à ce jour.

Aquila est une sage-femme afghane qui travaillait à l’hôpital Dasht-e-Barchi au moment de l’attaque : « Lorsque MSF a ouvert le projet Dasht-e-Barchi en novembre 2014, j’ai été l’une des premières à y travailler, d’abord comme sage-femme, puis superviseure des activités sages-femmes, à l’admission et dans les salles de travail et d’accouchement. Après cela, je suis devenue formatrice des sagesfemmes, poste que j’ai occupé jusqu’au jour de l’attaque.

Dasht-e-Barchi est une région très populeuse. La plupart des gens qui vivent ici sont parmi les plus pauvres de la société afghane.

La maternité offrait de bons services aux femmes enceintes : il y avait des salles de travail, d’accouchement et de soins postnatals, une unité néonatale, une banque de sang, un laboratoire, une salle d’opération, ainsi que des services d’éducation sanitaire et de planification familiale. C’était l’un des rares endroits à offrir des soins de santé gratuits et de haute qualité, sans égard à l’origine ethnique, à la religion et à la nationalité. Nous nous occupions très bien des patients. C’est pour cette raison que de nombreuses femmes choisissaient de venir accoucher à l’hôpital. En moyenne, nous assistions 45 à 50 accouchements chaque jour, dont certains avec complications.

Le jour de l’attaque a commencé comme tous les autres. À 9 heures, je me suis rendue à l’entrée pour récupérer le rapport de nuit. Comme il manquait le registre d’inscription, je me suis dirigée vers le bureau pour en obtenir un nouveau. Soudain, j’ai entendu des coups de feu. Au début, je pensais que le bruit venait de l’extérieur. J’ai croisé des collègues sur mon chemin, et nous nous sommes tous regardés d’un air interrogateur. C’est à ce moment-là que l’alarme a retenti, et nous nous sommes tous précipités vers une pièce sécurisée. Nous avons fermé la porte, après nous être assurés que la plupart de nos collègues se trouvaient à l’intérieur.

Le bruit des coups de feu se rapprochait de plus en plus. Une telle attaque était pour nous incompréhensible. Pourquoi attaquer l’hôpital alors que nous étions là pour accueillir de nouvelles vies dans ce monde? Pourquoi s’en prendre aux employés, pour la plupart des femmes, ainsi qu’à nos patients, qui étaient des femmes enceintes et des nouveau-nés?

L’attaque a débuté vers 9 h 50 et s’est poursuivie durant environ quatre heures. Nous sommes restés à l’intérieur de la pièce sécurisée pendant cinq heures. Je pensais à mes patients et collègues, aux pauvres patientes en travail et aux enfants innocents qui ne pouvaient pas se défendre. Parce que mon travail m’emmenait chaque jour dans toutes les sections de l’hôpital, je pouvais imaginer les patientes dans la salle d’accouchement et de travail, chacune d’entre elles défilait devant mes yeux. Une fois l’attaque terminée, nous avons appris la mort d’une de nos sagesfemmes, Maryam, ainsi que d’enfants et de mères qui étaient venues ici pour accoucher en toute sécurité. Plusieurs collègues, patients et proches soignants ont également été blessés dans l’attaque. Chaque fois que j’y pense, je suis bouleversée et en colère.

La décision de MSF de quitter l’hôpital a été presque aussi choquante que l’attaque elle-même. Je ne peux pas juger de cette décision, mais je sais qu’elle va coûter cher aux habitants de Dasht-e-Barchi, car, chaque jour, les services de MSF sauvaient la vie de nombreuses mères qui risquaient de mourir. Le départ de MSF de la région a affecté non seulement les patients, mais aussi le personnel hospitalier, dont beaucoup sont toujours au chômage. Pour moi, mes collègues et les habitants de Dasht-e-Barchi, ce fut un jour noir qui ne sera jamais oublié. »

L’entrée du bureau principal de l’hôpital Dasht-e-Barchi le lendemain de l’horrible attaque contre les patients et le personnel. Afghanistan, mai 2020. © Frederic Bonnot / MSF

La décision de MSF de quitter Dasht-e-Barchi a été difficile et douloureuse. Dans de nombreuses zones de conflit, notamment au Yémen, en Syrie, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine, les installations médicales continuent d’être la cible d’attaques. MSF appelle à nouveau toutes les parties aux conflits à cesser les attaques contre les travailleurs de la santé, les structures de soins et les patients. La violence pèse lourd sur les civils dans de nombreux endroits où nous travaillons, et chaque attaque contre des installations médicales ou des travailleurs de la santé prive les communautés de soins indispensables, souvent vitaux.