Les soins de maternité
à Lashkar Gah

Des gens circulent à l’entrée principale de l’hôpital Boost que soutient MSF, à Lashkar Gah. Afghanistan, 2022. © Oriane Zerah
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Récit à la première personne : Afghanistan

L’Afghanistan enregistre l’un des taux les plus élevés au monde de décès liés à la grossesse et à l’accouchement. Depuis 2009, une équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) travaille à l’hôpital Boost, à Lashkar Gah, pour aider les femmes à accoucher en toute sécurité. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, explique Rahmatullah Ali Jani, qui travaille avec MSF en tant que responsable des ressources humaines.

J’ai grandi près de la ville de Lashkar Gah, dans la province d’Helmand. Voici le récit de deux voyages que j’ai faits, séparés de quelques années mais étroitement liés.

Un soir de l’été 2008, vers minuit, j’étais en train de m’endormir lorsque j’ai entendu frapper fort à la porte. Mon oncle est sur le seuil. Il me dit : « Démarre la voiture, il faut qu’on aille quelque part. »

« Il n’y a ni brancard, ni fauteuil roulant, ni personne pour nous aider. »

Je fais ce que mon oncle me demande et commence à rouler dans l’obscurité, en suivant ses indications. Nous nous rendons dans un quartier pauvre de la périphérie de la ville et nous nous arrêtons devant une maison où nous attendent une femme très enceinte et un homme.

Mon oncle me demande de rabattre les sièges pour que la femme puisse s’allonger. Bientôt, je conduis prudemment dans le noir, sur des routes cahoteuses en direction du centre-ville, traversant plusieurs points de contrôle, tout en répondant à différentes questions.

Une heure et demie plus tard, nous arrivons à l’entrée d’un complexe hospitalier, grand et sombre. « Qu’est-ce que vous faites? Pourquoi êtes-vous ici? », demande le garde. Nous le lui expliquons et il nous fait signe d’entrer. Il est difficile de s’y retrouver : pas d’allée, pas de lumière, beaucoup de branches et d’arbres tombés. Nous finissons par trouver le bâtiment principal.

Un homme muni d’une lampe à huile s’ap- proche et nous demande ce que nous faisons là. Il nous indique un couloir sombre. Il n’y a ni brancard, ni fauteuil roulant, ni personne pour nous aider. Le silence est total, à l’exception des gémissements de la femme qui souffre. Le bâtiment sent les plaies ouvertes et l’alcool. Nous marchons le long du couloir, en appuyant sur les touches de notre téléphone pour obtenir assez de lumière afin d’éviter de nous cogner contre les murs.

À notre arrivée à la maternité, une femme tenant une lampe à huile nous demande la raison de notre présence. Nous perdons du temps à expliquer. Elle nous dit : « Attendez ici, je vais essayer de trouver la sage-femme de garde. » Elle réapparaît, nous dit que la sage-femme n’est pas à l’hôpital et qu’elle va aller la chercher chez elle.

Une demi-heure plus tard, elles sont de retour. La sage-femme nous accueille gentiment et emmène la femme enceinte à l’intérieur. Au bout de 10 minutes, elle nous apporte une liste d’articles en disant : « Dans cet hôpital, nous pouvons prendre en charge l’accouchement, mais nous n’avons pas de médicaments ni de fournitures. Vous devez tout acheter vousmêmes dans une pharmacie. »

La femme à la lampe nous demande : « Pourquoi l’avoir amenée dans cet hôpital et non dans une clinique privée? Vous savez bien qu’il n’y a aucune infrastructure ici. » Mais une clinique privée coûte trop cher.

Après une heure de recherche, nous trouvons une pharmacie ouverte et obtenons tout ce qui figure sur la liste. D’autres fournitures seront nécessaires pendant la nuit et nous referons ce voyage deux fois.

Au matin, les nouvelles sont bonnes : le bébé est né, et la mère et le bébé sont en bonne santé. Comme il n’y a pas de soins postnataux, nous les ramenons directement à la maison.

Quelques années plus tard, je reçois un appel similaire, mais je m’y attends, car je sais que ma tante est enceinte. Comme la première fois, il est presque minuit lorsque nous prenons la route.

De nouveau, les routes cahoteuses et les points de contrôle, mais à notre arrivée à l’hôpital, on nous ouvre le portail et nous roulons sur une route goudronnée jusqu’à l’entrée principale.

Aseela, enceinte de neuf mois, pose ses mains sur son ventre à l’hôpital Boost, soutenu par MSF. Afghanistan, 2022.

Au lieu de l’obscurité totale, je vois un vaste bâtiment blanc bien éclairé. Je suis sous le choc. Je demande : « Sommes-nous au bon endroit? Êtes-vous sûrs que c’est bien l’hôpital où nous voulons aller? »

« Sommes-nous au bon endroit? Êtes-vous sûrs que c’est bien l’hôpital où nous voulons aller? »

Nous entrons dans le bâtiment et les gens nous donnent des indications. Des femmes apparaissent avec un brancard et emmènent ma tante à l’intérieur. L’une d’entre elles nous explique ce qui va se passer ensuite, combien de temps cela va prendre, qu’il n’y a pas de danger et que je ne dois pas m’inquiéter.

J’entends à peine ce qu’elle dit, tellement je suis distrait par le reste. Il est minuit, mais il fait clair comme en plein jour. Je réfléchis : « Qu’est-ce qui se passe? Est-ce un autre endroit? Suis-je sur une autre planète? »

Tout autour de moi, des panneaux indiquent les différents services : urgences, laboratoire, radiologie, pédiatrie. C’est une expérience étonnante de voir les changements apportés à l’hôpital, maintenant soutenu par MSF.

En 2022, le pouvoir a changé à Lashkar Gah. Au milieu des tirs, des combats et des roquettes qui ont ravagé la ville pendant 10 jours, l’équipe MSF était sur place, soignant les gens au sous-sol. Lors de ma première visite, il y a de nombreuses années, ils avaient du mal à mettre au monde un seul bébé. Aujourd’hui, ils peuvent en accoucher plus de 2 000 par mois.

Rahmatullah Ali Jani, responsable des ressources humaines à MSF. 2023.